mercredi 29 octobre 2008

Le renouveau de la responsabilité délictuelle des acteurs de l’internet


La jurisprudence récente semble confirmer le retour en force du droit commun en matière de responsabilité des acteurs de l’internet (TGI Troyes 4 juin 2008, TC Paris 30 juin 2008). 
Corrélativement, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) apparaît délaissée par les juges, alors même qu’elle constitue le cadre juridique spécialement prévu pour régir le droit de l’internet. 
Celui-ci prévoit notamment un régime de responsabilité atténuée bénéficiant aux hébergeurs. Ils sont définis par la LCEN comme ceux qui stockent des données fournies par les destinataires du service. Les hébergeurs ne voient leur responsabilité engagée que s’ils ne réagissent pas promptement pour interdire l’accès de données signalées comme illicites ou qui le sont manifestement.
Ce n’est que lorsqu’un acteur de l’internet va au delà de son rôle d’hébergeur qu’il cesse de bénéficier de ce régime privilégié. Il en va ainsi notamment lorsque l’hébergeur agit sur le contenu, par exemple en tant qu’éditeur. 
Simple à énoncer, le distinguo est délicat en pratique. En effet, un hébergeur n’est que très rarement totalement passif. Il peut par exemple organiser le contenu pour le présenter, notamment dans un objectif de profit. En outre, l’évolution incessante de la puissance des logiciels a multiplié les possibilités pour les acteurs de l’internet de surveiller les contenus stockés.
Il en résulte que la qualification d’hébergeur n’est plus guère pertinente. La jurisprudence semble en prendre acte et revenir aux notions traditionnelles de la responsabilité délictuelle. Elle est fondée sur le triptyque : savoir, pouvoir et inertie. 
Ainsi, le TGI de Troyes a condamné le 4 juin 2008 la société Ebay au motif qu’elle ne veillait pas « à l’absence d’utilisation répréhensible dudit site ». Pour sa part, le Tribunal de Commerce de Paris a condamné le 30 juin 2008 la même société elle avait manqué « à son obligation de s’assurer que son activité ne génère pas d’actes illicites ». Ces deux décisions ont en commun la sanction d’un manquement au devoir de vigilance qui s’impose à tout professionnel.
Cette motivation est au fond très proche de celle de l’arrêt Estelle Hallyday rendu par la Cour d’appel de Paris le 10 février 1999. Selon la Cour, l’hébergeur devait « assumer à l’égard des tiers (…) les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibérés, entrepris d’exercer ». 
En définitive, le mouvement perpétuel de balancier entre droit spécial et droit commun a remis les choses en leur état antérieur. Les juges semblent aujourd’hui délaisser la loi du 21 juin 2004.
C’est donc la qualification de faute qui apparaît à nouveau comme la clé de la responsabilité des acteurs de l’internet. Est ainsi décisif le jugement de valeur porté sur la qualité morale, sociale ou technique de leurs comportements. Le rôle du juge en sort renforcé. Celui de la défense l’est tout autant. Les acteurs de l’internet sont invités à la prudence et à la vigilance, comme tout professionnel.