vendredi 28 novembre 2008

Faillites et paiements par cartes : une décevante ambiguïté du Code monétaire et financier

Les e-commerçants n’échappent pas à la crise économique actuelle. Derrière les façades de sites attractifs, les redressements et les liquidations judiciaires des fournisseurs se multiplient. Quelles sont alors les possibilités de s’opposer à l’engagement de payer donné au moyen d’une carte bancaire ?

Cette question est toujours plus fréquemment posée aux établissements bancaires. Mais assez curieusement, les réponses varient selon les interlocuteurs. Certains clients se plaignent même d’avoir été remboursés par leur banque dans un premier temps avant d’être à nouveau débités de la somme payée au moyen de leur carte.

À la décharge des banques, il convient de reconnaître que le Code monétaire et financier ne brille pas par sa limpidité. Aux termes de son article L.132-2, il peut être fait opposition au paiement en cas de redressement ou de liquidation judiciaires du bénéficiaire. 

Dans le cas d’un paiement effectué avant le jugement du tribunal qui déclare la faillite, cette opposition peut-elle être faite après ce jugement ? 

Répondre par la négative arrange bien les affaires des banques, qui limitent ainsi les cas d’opposition. Ce faisant, elles vident largement la portée protectrice de l’article L.132-2. En effet, très rares sont les téméraires qui restent clients d’une entreprise qui a fait faillite. Les possibilités d’achats sont d’ailleurs improbables. 

Pour leur part, les acheteurs victimes de faillites appellent à la rescousse l’article L.132-6 du Code monétaire et financier. Celui-ci indique que le titulaire d’une carte de paiement a la possibilité de déposer une réclamation durant un délai légal de soixante-dix jours à compter de l’opération contestée. Par exemple, même si l’achat est intervenu quarante jours avant le jugement d’ouverture, ils entendent pouvoir le contester encore trente jours après. 

S’appuyant sur la combinaison de ces deux articles, une célèbre organisation de défense des consommateurs leur a proposé une lettre-type pour s’opposer aux paiements par carte de leurs achats la CAMIF.

L’heureuse intervention des autorités publiques au profit des clients CAMIF a rendu une telle lettre sans objet. Les très nombreuses victimes de commerçants moins notoires (notamment celles Show Room 2001) ont cependant fondé beaucoup d’espoirs sur une telle interprétation combinée des deux articles du Code monétaire et financier. 

Il semble aujourd’hui que les banques ne partagent pas cette interprétation. Elles vont valoir que les seuls cas d’opposition prévus par l’article L.132-2 sont la perte, le vol, l’utilisation frauduleuse ou la faillite, mais seulement lorsque l’opération contestée intervient postérieurement au jugement qui la déclare.

En pratique, les victimes ne peuvent qu’être déçues par l’insuffisante précision du Code monétaire et financier.
Celui-ci gagnerait à la fois en clarté et en portée s’il précisait que l’opposition peut se faire dès la date de cessation de paiement du commerçant, bien souvent très antérieure au jugement d’ouverture déclarant la faillite. L’acheteur gagnerait en sécurité et ainsi les banques seraient responsabilisées. Elles en ont les moyens car elles sont réputées connaître la santé financière de leurs clients. 

Toujours pour améliorer la sécurité des transactions, il semble opportun d’adjoindre l’escroquerie au vol, tel qu’il est prévu par l’article L.132-2. Dans ce cas, la banque agirait contre le délinquant, avec plus d’efficacité que ses propres clients.

Michel Pasotti – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie – Paris, le 28/11/2008

vendredi 21 novembre 2008

Procédures collectives, e-commerce, actions de classes et SARVI : un fil conducteur très concret

Il faut rendre grâce à la CAMIF d’avoir attiré l’attention du grand public sur le risque le plus important qui pèse aujourd’hui sur le consommateur : il n’est pas à l’abri d’une cessation de paiement de son fournisseur. Dans ce cas, il est bien probable qu’il ne recevra jamais le produit qu’il a payé, sans pour autant être remboursé.
La montée en puissance du e-commerce ayant distendu le lien physique direct entre le commerçant et le consommateur, la santé économique du fournisseur est devenue d’autant plus difficile à apprécier. Ainsi, un site internet attractif peut parfaitement dissimuler une entreprise en train de s’effondrer. Par un effet de contagion, la crise économique actuelle peut frapper par surprise n’importe quel fournisseur. Son site internet restera toujours aussi séduisant. Les consommateurs semblent pourtant ignorer ce risque caché. Et le couple prix-produit reste encore largement le critère prépondérant de la décision d’achat. De fait, les moteurs de comparaison délaissent pour la plupart le risque de non-livraison. Celui que les banquiers désignent de longue date comme le risque de contrepartie.
Quelles garanties de livraison propose le fournisseur, quel est son « track-record », quels comptes a-t-il publié récemment, qui sont les dirigeants et les actionnaires ? Autant de questions souvent ignorées par l’e-consommateur. Il s’agit pourtant de paramètres essentiels à lui faire connaître, pour réellement l’aider à choisir de manière éclairée.
Ce besoin émergent est d’autant plus aigu que les brebis galeuses se mêlent aujourd’hui au troupeau. La loi du 26 juillet 2005 sur les entreprises en difficultés ayant si bien réussie à protéger les dirigeants, il est devenu tentant pour certains de s’en servir. On l’aura deviné, l’armée des grugés de l’internet grossit à vue d’oeil en ces temps de crise. Quelques minutes de navigation sur les forums des associations de consommateurs permettent de le constater. Les produits dont la valeur est comprise entre 200 euros et 1000 euros sont de fait les plus souvent cités. L’internaute est à l’affut de la bonne affaire et l’achat n’est pas assez important pour qu’il s’entoure de toutes les précautions : le e-délinquant le sait et le chasseur de prix devient sa proie. Il lui suffit ensuite de faire traîner ses livraisons puis de saisir le tribunal de commerce afin de faire constater la cessation de paiement.
L’ouverture de la procédure collective entraîne alors l’arrêt des poursuites individuelles de tous les créanciers. Les e-consommateurs lésés rejoignent alors le bataillon des sans-grades, celui de créanciers chirographaires, ne disposant d’aucune sûreté pour garantir leur remboursement. L’article L.621-10 du Code de commerce prévoit cependant qu’ils peuvent demander la désignation d’un contrôleur soit pour les représenter.
En pratique, on voit toutefois mal comment ceci pourrait fonctionner. L’absence de taille critique est un obstacle trop fort à surmonter. Comment les consommateurs pourraient-ils bien s’organiser sans un cadre qui structure leurs actions ? Qui parmi eux disposerait individuellement d’assez de temps et des connaissances juridiques lui permettant d’agir efficacement auprès des organes de la procédure collective ? Dans ce contexte de crise économique, un cadre à la fois juridique et économique prend ainsi encore plus de sens pour organiser l’action collective des plus faibles. La mise en place en France des actions de classes devrait de la sorte répondre à l’intérêt général.
Il reste que, malgré toute l’efficacité de la procédure collective, le e-commerçant peut s’avérer insolvable. Ceci sera souvent le cas lorsque qu’il aura agi de manière délibérément frauduleuse. Cette intention est toujours difficile à caractériser et la présomption d’innocence profite naturellement aux dirigeants. Une énergie considérable doit alors être investie pour contrecarrer la propension du Parquet au classement sans suite. Ici encore, le cadre de l’action de classe devrait permettre d’atteindre la taille critique nécessaire aux plus faibles pour faire entendre leur voix. Dans l’hypothèse où l’infraction serait retenue par le tribunal, le très récent SARVI (Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions), en vigueur depuis le 1er octobre 2008, devrait favoriser l’indemnisation des victimes. Il en va ainsi notamment pour les préjudices d’un montant inférieur à mille Euros, qui représentent la très grande majorité des plaintes des e-consommateurs. Le nouveau dispositif prendrait alors tout son sens : contribuer effectivement à une meilleure la justice sociale, en phase avec la société de l’économie numérique. Les e-commerçants ne pourraient que se réjouir d’un meilleur sentiment collectif de sécurité.

Michel Pasotti – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie – Paris, le 21/11/2008