vendredi 19 décembre 2008

Décision Rhodia et Web 2.0 : une nouvelle ère et de nouvelles régulations ?

La décision rendue le 3/12/08 par le Tribunal de Commerce de Nanterre impute une faute aux dirigeants de Rhodia. Cette faute est constituée par un manquement à une « obligation générale de compétence, de diligence et d’action dans l’intérêt de la société » et la « complaisance fautive » des dirigeants.

En conséquence, ceux-ci sont condamnés à réparer cette faute, personnellement et à hauteur de 2,1 millions d’Euros. Bien entendu, les dirigeants ont fait appel. Les effets de la décision sont donc suspendus. 

De nombreuses voies ont critiqué la motivation des juges. La puissance économique des personnes visées promet une lutte longue et âpre. Quelle qu’en soit l’issue, il faut toutefois y voir une confirmation et de nouvelles perspectives. 

Tout d’abord, c’est la confirmation d’une tendance lourde : la montée en puissance de la faute, cette star du droit mou. 

À cet égard, l’application faite en 2008 par les tribunaux de la LCEN (Loi pour la Confiance en l’Économie Numérique) est édifiante. Ainsi, le TGI de Troyes avait condamné le 4 juin 2008 la société Ebay au motif qu’elle ne veillait pas « à l’absence d’utilisation répréhensible dudit site ». Pour sa part, le Tribunal de Commerce de Paris avait condamné le 30 juin 2008 la même société parce qu’elle avait manqué « à son obligation de s’assurer que son activité ne génère pas d’actes illicites ». 

Toutes ces décisions ont en commun la sanction d’un manquement aux devoirs de vigilance de ceux qui sont aux commandes. Les cas de figures de même nature sont innombrables. Si tous les actionnaires assignaient devant les tribunaux les dirigeants manquant de vigilance, les moyens actuels de l’institution judiciaire n’y suffiraient plus. Le droit d’agir des simples actionnaires est donc encadré par la loi.

Ainsi l’article L.225-120 du Code de Commerce impose notamment que les actionnaires doivent détenir ensemble au moins 5% des droits de vote pour s’associer et exercer leurs droits lorsque le capital d’une société anonyme est supérieur à 750.000 Euros. 

C’est dans ce contexte que le Web 2.0 fait son entrée en scène. Quoi de plus simple pour les actionnaires de se regrouper en utilisant les forums et autres fonctionnalités collaboratives offertes aujourd’hui par Internet ?

En peu de temps, ces actionnaires peuvent se rassembler pour se donner les moyens d’agir, notamment en justice. Cette faculté commence à porter ses fruits, par exemple en droit de la consommation, où certains forums constituent des références. Ils sont pratiquement entrés dans les mœurs des internautes, donc de chacun. 

Demain, les actionnaires mécontents pourront créer leurs propres forums. Les traditionnelles assemblées générales seront supplantées par des communautés alternatives. Elles pourront prétendre réguler les comportements des dirigeants et le standard juridique qu’est la faute sera leur épée de Damoclès.

Les dirigeants des sociétés financières et tout particulièrement les gérants des SICAV pourraient bien devenir l’objet de ces prochaines régulations. L’intérêt général en sortirait vainqueur. 

Grâce à l’interprétation jurisprudentielle de la faute et au renfort des moyens de communication fournis par le Web 2.0, les avantages de la concurrence pure et parfaite cesseraient d’être virtuels.

Michel PASOTTI - Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie – Paris, le 19/12/2008

dimanche 14 décembre 2008

Pas de trêve des confiseurs pour les e-arnaqueurs : penser à s'informer quant à l'e-réputation

A l’approche des fêtes, les achats sur internet se font toujours plus fréquents. En effet, les e-commerçants ne ferment jamais leurs magasins et leurs files d’attente sont inexistantes. La tentation est donc grande d’utiliser les inépuisables ressources d’internet pour dénicher la bonne affaire, parfois à un prix défiant toute concurrence.

C’est dans ce contexte que les risques d’être victime d’un commerçant indélicat sont les plus grands. Dans le meilleur des cas, l’internaute n’est pas livré dans le délai annoncé. Dans le pire des cas, il ne recevra jamais sa commande. 
Ce cas de figure est d’autant plus répandu qu’en cette période de crise, les commerçants sont souvent en mauvaise santé financière. Dans ce cas, le droit des entreprises en difficulté leur permet d’échapper aux poursuites individuelles des consommateurs.

Pour se protéger, il est souvent recommandé de consulter les sites spécialisés donnant des informations sur la vie des sociétés. En pratique, ces sites présentent deux inconvénients. En premier lieu, ils sont payants quand il s’agit de fournir les informations les plus utiles, notamment en cas de redressement judiciaire. En second lieu, ils tiennent leurs informations des tribunaux de commerce : il est souvent trop tard lorsqu’ils ont connaissance des difficultés connues par les entreprises.
Dans cette situation, les forums sur internet constituent aujourd’hui un moyen particulièrement efficace pour s’informer quant à la réputation des cyber-commerçants

Des sites comme lesarnaques.com ou ciao.fr sont aujourd’hui en passe de devenir les points de passages obligés des consommateurs vigilants. La e-réputation du cyber-commerçant deviendra en 2009 un paramètre de la décision d’achat au moins aussi important que le prix du produit. 

Michel PASOTTI – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie – Le 14 décembre 2008

mercredi 3 décembre 2008

Constante de Copernic et prochain CCAG-TIC : qui l’emportera ?

Les chiffres sont aujourd’hui connus du grand public. Le budget du chantier Copernic atteindra 1,8 milliards d’euros. Il était initialement prévu à 0,9 milliards d’euros, dans l’objectif de multiplier les liens électroniques avec les contribuables. C’est donc un doublement du montant initialement prévu que supporteront les propres finances du ministère du Budget. 

Un tel doublement n’est pas un cas isolé. Encore dans le même ministère, le projet informatique Chorus a vu son budget passer de 0,55 à 1,1 milliards d’euros, pour une livraison prévue en 2011, soit avec une année de retard (La Tribune - 25/11/2008).
A dire vrai, un tel doublement de budget n’émeut guère les spécialistes, car il est devenu la règle en matière de projets informatiques. Il n’est donc pas rare d’entendre invoquer la « Constante de Copernic » pour échapper à la critique, voir à ses responsabilités. 

Dans l’objectif louable de s’attaquer notamment à cette difficulté, la Direction Juridique du Minefi a entrepris la rédaction d’un nouveau Cahier des Clauses Administratives Générales dédié aux Techniques de l’Information et de la Communication (CCAG-TIC). La concertation relative au CCAG-TIC s’est achevée le 29 septembre 2008, pour une publication prévue avant la fin 2008. 

Pour l’essentiel, les évolutions portent sur l’apparition de la cession des droits de propriété intellectuelle et surtout de nouvelles définitions ou leur actualisation. 

Ainsi, la notion de « réserves » est introduite dans le projet. Celle-ci est décisive car elle permet de s’affranchir de la règle du « tout ou rien », qui est en contradiction avec les faits : de nombreux systèmes informatiques ne fonctionnent pas parfaitement mais sont néanmoins utilisés. Comment ignorer cette situation dans les contrats ?

La notion de « qualité du service » est définie par comparaison du niveau de service rendu avec celui visé dans la convention de niveaux de services. Elle permet elle aussi de s’affranchir du « tout ou rien ».

Font encore leurs apparitions la « réversibilité » ou « transférabilité », qui désignent l’acte de retour ou de transfert de responsabilité, par lequel le pouvoir adjudicateur reprend, ou fait reprendre par un nouveau titulaire, les prestations qu’il avait confiées au titulaire du marché d’infogérance arrivant à terme. 


À dire vrai, toutes ces notions sont bien connues et largement utilisées par les professionnels du secteur informatique lorsqu’il interviennent en dehors de la Commande Publique. Il en va de même en matière de cession des droits de propriété intellectuelle. Pour autant, la fameuse constante de Copernic y sévit avec la même force.

Faut-il en déduire que les pratiques comptent plus que les contrats ? C’est vraisemblablement à l’articulation des deux mondes que les gisements de progrès restent à explorer. C’est certainement une bonne raison pour que les informaticiens et les juristes travaillent encore plus concrètement en équipe.

Michel Pasotti – Avocat au Barreau de Paris – Docteur en Économie 
Paris, le 03/12/2008